Une petite note de lecture sur un article
d’Edouard Chavannes paru en 1903 dans la
revue de Paris :
Confucius historien
Le seul ouvrage
dont il soit sûrement l’auteur est une chronique de la principauté de Lou, sa
patrie, entre l’an 722 et l’an 481 av. J.C. Confucius est le véritable père de
l’histoire en Chine. Il ne fut historien que parce qu’il se proposait d’être
l’instituteur des rois. Il n’écrivit sa chronique que dans sa vieillesse,
lorsqu’il eut reconnu l’inutilité de ses efforts pour agir autrement que par le
livre.
Confucius homme politique
Sa vie entière se
passa à chercher entre les divers royaumes qui se partageaient la Chine celui
où ses avis pourraient être suivis. Ces échecs successifs n’étaient pas sans
l’attrister : « Suis-je donc comme une courge amère qui ne peut que pendre à sa
tige et qui n’est pas mangeable ? ». Il ne parvint pas à transformer le monde politique
; cependant son influence fut énorme sur ses contemporains ; il ne cessa jamais
d’être entouré d’auditeurs fidèles et nombreux.
Confucius enseignant
« Je n’invente
rien, je ne fais que transmettre ». Il étudiait le caractère de ses disciples
et, à une même question posée par deux d’entre eux, il faisait des réponses
différentes parce que le même avis ne pouvait convenir à deux tempéraments
divers.
Morale
Discipline des mœurs
qui refrène les désirs égoïstes et les passions des sens. « L’homme qui agit
toujours en vue de son intérêt est fort haïssable. L’homme supérieur comprend
la justice ; l’homme vulgaire comprend son intérêt ». « Avec du riz grossier à
manger, avec de l’eau à boire, avec mon bras plié pour oreiller, je puis encore
être heureux dans de telles conditions ; mais les richesses et les honneurs qui
viennent de l’injustice sont pour moi comme des nuages flottants ». « Voir ce
qui est juste et ne pas le faire, c’est manquer de courage ».
Ici et maintenant
Confucius ne se
préoccupe point de ce qui arrivera après la mort ; il refuse de s’expliquer sur
les dieux ; sa philosophie s’adresse aux vivants et trouve dans la vie même sa
raison d’être. « S’appliquer à la justice qui est due aux hommes, respecter les
mânes, mais se tenir loin d’eux, c’est ce qu’on pourrait appeler la sagesse ».
« Les sujets sur lesquels le maître ne parlait pas étaient les prodiges, les
actes de violence, les rébellions et les dieux ». La morale confucéenne n’a
d’autre base que la connaissance de la nature humaine.
Morale et société
L’homme est un
être social et le bien en soi n’est autre que le bien social. L’individu est un
membre de l’humanité ; il est solidaire de ses semblables et n’a pas le droit
d’agir comme s’il était seul au monde. Confucius n’est pas un révolutionnaire ;
la société qu’il veut améliorer est la société patriarcale. L’Etat est une
famille infiniment agrandie. Entre le prince et le père, il y a une différence
de degré, non de nature. Si le prince agit en prince, si le père agit en père
et le fils en fils, le bon ordre ne peut manquer de régner. On pourrait assurer
ce résultat par un code pénal inflexible et minutieux ; mais on n’obtiendrait
ainsi que l’apparence de l’harmonie, et les hommes, maintenus par la crainte
seule, ne seraient pas réellement vertueux. Le souverain bien étant le bien
social, ceux qui gouverneront les autres seront ceux qui connaîtront quel est
ce bien et comment la nature humaine peut y atteindre. La soumission est
motivée par le respect ; le commandement se légitime par la connaissance.
Rites
Le respect devant
varier suivant le degré de supériorité de la personne à laquelle il s’adresse,
il est nécessaire de réglementer les formes par lesquelles il s’exprime. Telle
est l’origine des rites chinois.
Musique
La hiérarchie
sociale a des degrés qui sont marqués par les rites, mais un lien rassemble
toutes ces parties, et c’est ce que symbolise la musique. Les rites divisent,
la musique unit. La musique dont Confucius parle consistait en danses mimées
avec accompagnement de chants et d’instrument de musique.
Peuple
L’homme tend à
imiter ce qu’il admire. Aux yeux de Confucius, le peuple n’a pas besoin de
comprendre : il n’a qu’à imiter. C’est aux classes dirigeantes, et plus
particulièrement au souverain, qu’il appartient de donner le bon exemple. Cet
exemple sera nécessairement suivi. Si le prince dirige le peuple par sa vertu
et fait régner l’union par les rites, le peuple a honte de mal faire et il
atteint au bien. Les rites, la musique et l’exemple suffisent à gouverner le
peuple. C’est par l’habitude, l’émotion collective et l’imitation que Confucius
entend diriger la foule des hommes.
Lettrés
Si la foule se
laisse guider, il faut qu’une élite soit chargée de donner le bon exemple.
Cette aristocratie se composera de ceux qui, par l’étude, auront accru leur
connaissance de la nature humaine de manière à comprendre quelle est la place
de l’homme dans la famille et dans l’Etat, et quel rôle lui est assigné. Il ne
suffit pas de s’observer soi-même : à la psychologie il faut ajouter la science
sociale. Une société se développe dans le temps, et sa forme actuelle ne
s’explique que par sa vie passée ; la science sociale est donc inséparable de
l’histoire. Le respect qu’on doit au père s’augmente encore lorsqu’il se
reporte sur les ancêtres et plus on remonte le cours des âges, plus il semble
qu’on se rapproche de la perfection. Confucius croyait trouver dans les plus
vieux monuments de la littérature les leçons les plus hautes.
Souverain
A prendre le
système de Confucius dans sa rigueur, il n’y a qu’une seule personne qui puisse
posséder la science intégrale : c’est le souverain. Le souverain doit commencer
par connaître exactement la nature humaine ; de cette connaissance dériveront
successivement, et par un enchaînement nécessaire, la réformation de sa propre
personne, puis celle de sa famille, enfin celle de son royaume.
Ciel, Terre, Homme
Ils forment une
trinité mystique ; le Ciel couvre toute chose ; la Terre supporte toute chose ;
l’Homme est placé entre le Ciel et la Terre et les unit. Si l’Homme agit mal,
des cataclysmes se produiront dans le Ciel, des fléaux sur la Terre. Si l’Homme
au contraire est vertueux, il donnera à l’action bienfaisante du Ciel et de la
Terre un complément nécessaire et, grâce à lui, l’harmonie régnera. Un bon
prince est donc comme la clef de voûte qui maintient la stabilité tout à la
fois de l’édifice social et du monde physique.