"Au Cheval blanc" @Ecrits de Chine


A Shanghai, métropole de 25 millions d’habitants, on trouve tout ce qu’on veut, ce qu’on ne veut pas, et sans doute plus encore. Il y a quelques années, j’étais avec une amie shanghaienne ravie de me raconter sa soirée de la veille au Cheval blanc. Elle y était allée avec des amies, toutes dames travaillant pour des marques internationales de cosmétiques, à l’occasion de l’anniversaire de l’une d’entre elles.

Le Cheval blanc est un club select pour dames dont certains serveurs sont de jeunes et beaux étrangers. On y trouve des salons particuliers où miroirs, moelleux sofas, éclairages multicolores et musiques rythmées contribuent à une ambiance de fête. On s’y installe puis après quelques minutes entrent les garçons comme sur une scène de spectacle.
Il y a les serveurs chinois employés de la maison, qui gèrent discrètement les soirées, et il y a les extras. Ce sont de jeunes touristes de passage à Shanghai qui ont eu le plan par des amis, souvent des modèles russes, australiens, ou coréens, venus ici faire du shooting pour des fringues ou une pub. Désœuvrés le soir, ils passent faire un tour au club pour se faire un peu d’argent de poche.
Ces gredins vous présentent la carte des boissons, vous incitent à choisir des cocktails chers ou du champagne et prennent les commandes. Puis ils viennent s’asseoir à vos côtés et vous tapent la causette en vidant les coupettes que vous leur payez. Conversations qui souvent ne vont pas bien loin puisque ces mignons ne parlent pas chinois et que l’anglais de ces dames est parfois un peu sommaire.
Qu’à cela ne tienne, sourires, clins d’œil et autres petits gestes charmants suffisent en général à maintenir un semblant de communication. Insensiblement, l’alcool aidant, la soirée glisse vers la lascivité et chacun s’enhardit. Pour quelques billets, on peut alors convenir d’un strip-tease, tout de même raisonnable, puisque interrompu au triangle de tissu entourant la taille.
A ce stade, on n’est plus tenu de nommer ces jolis compagnons des serveurs, mais plutôt des 小白脸(xiao bailian), c’est-à-dire des « petits visages blancs », des jeunes hommes apprêtés, poudrés et maquillés, comme des figurants d’opéra. On imagine l’enthousiasme des clientes pour ces corps musclés et glabres, lisses comme du jade, dansant sur le beat.
Après ce plein d’émotions, mon amie et ses copines ont fui le Cheval blanc pour se réfugier, qui chez son mari, qui chez ses parents, qui dans son grand lit d’oubli, après avoir claqué quelques milliers de yuans. Elles auraient pu, en relançant de quelques milliers d’autres, ramener chez elles un de ces garçons comme un trophée et passer une nuit agitée en sa compagnie.
Mais alors, il faudrait donner une traduction plus juste de 小白脸 en français : un gigolo.
I'm so sad and lonely
Oh lonely, oh lonely, lonely, lonely
Won't some sweet mama,
come and rescue me?
'Cause I ain't so bad
chantait Louis Prima.
Mon amie ne me voyait pas en danseur ou serveur, mais elle me voyait bien en gigolo. Elle avait des connaissances susceptibles d’être intéressées, un contact pouvait être établi facilement par Wechat, elle prendrait juste une petite commission au passage. Comme quoi ce genre de partenariat s’organise le plus simplement du monde, presque naturellement. Nous avons bien ri et j’ai hésité…
Cela me faisait penser qu’un prof américain de l’université Fudan m’avait proposé de passer une soirée comme client avec de jolies hôtesses dans ce genre de lieu à Nanjing East Road. Il y a bien longtemps, il avait travaillé dans le monde de la nuit dans le coin et connaissait encore pas mal de monde. C’était mon anniversaire et il payerait tout. C’était sympa mais ce n’était pas tant pour mon plaisir que pour le sien : on fait mieux la fête à deux que seul, et il voulait faire la fête. Mais l’affection tarifée, c’est pas mon truc et j’avais refusé.
Mon amie insistait, me flattait : j’étais beau, grand, convenablement musclé, etc. Et c’est vrai que gagner cinq ou sept milles yuans en une nuit n’est pas négligeable pour un prof de français médiocrement payé. Mais comme nous parlions chinois et que mon chinois était encore plus mauvais qu’il ne l’est maintenant, peut-être que je n’avais rien compris à son histoire de cheval blanc et de beaux gigolos, peut-être que son histoire était fausse après tout.

Enfin peu importe qu’une histoire soit fausse ou vraie, du moment qu’elle soit intéressante. J’ai donc hésité... un ensemble de considérations morales, de fatigue redoutée, et mon côté fleur bleue ont failli me faire refuser... mais finalement, j’ai accepté. Alors mon amie m’a dit qu’elle blaguait, que j’étais déjà trop vieux et que ça ne marcherait pas pour moi.